Paradoxe réglementaire européen – Quand l’économie circulaire tolère un recyclage…non local

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Par Ali Kassaï Koupaï, Directeur Associé X-PM et Marc Alochet, Chercheur associé au Centre de Recherche en Gestion de l’école Polytechnique

L’économie circulaire, une ambition européenne à géométrie variable

L’économie circulaire est désormais au cœur de la stratégie industrielle européenne. Elle est censée apporter une réponse à la fois écologique (réduction des déchets, préservation des ressources) et économique (création d’emplois, relocalisation industrielle, sécurité d’approvisionnement).

Mais un paradoxe persiste : rien n’impose aujourd’hui, que le recyclage soit réalisé localement. Une entreprise peut tout à fait intégrer des matières recyclées produites en Chine dans un produit fabriqué en France, tout en respectant les taux exigés par les textes européens. Sur le papier, les objectifs sont atteints. En réalité, l’ambition circulaire est en partie déconnectée de son ancrage territorial.

Un paradoxe réglementaire aux effets concrets

Ce paradoxe n’est pas marginal, il soulève des questions profondes sur la cohérence entre logique circulaire et les objectifs de réindustrialisation bas carbone. Et il a des conséquences très concrètes, en particulier dans des filières industrielles en construction, comme celle des batteries électriques, où s’exercent des tensions entre urgence environnementale, dépendance stratégique et performance industrielle.

Le secteur des batteries comme cas d’étude : exemple type d’une circularité fragmentée

Le secteur européen de la batterie concentre tous les enjeux : dépendance à des matériaux critiques absents de son sol et à la chaîne de valeur chinoise, fortes pression réglementaire et volonté de construire une filière autonome.

La réglementation publiée par le ministère de l’Écologie et de l’Environnement (MEE) chinois le 10 juin dernier, entrée en vigueur le 1er août 2025, autorise désormais[1] l’importation de « Black Mass » en Chine (voir encadré en fin d’article). Cette autorisation concerne une « Black Powder », soit une Black Mass à forte concentration en matières critiques. Elle illustre la volonté de la Chine de devenir le hub mondial du recyclage de haute qualité à bas coût, tout en redonnant des volumes à une industrie nationale en sous-capacité chronique.

En parallèle, le règlement européen sur les batteries[2], directement applicable dans tous les États membres, est entré en vigueur le 18 août 2025. Il introduit la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) de batteries, qui oblige les fabricants à assurer la collecte, le traitement et le recyclage des produits usagés.

Mais dans les faits, cette réglementation européenne reste poreuse :

  • Aucun texte ne précise la localisation de l’ensemble de ces opérations ;
  • L’interdiction d’export des déchets de batterie en dehors de l’OCDE ne va pas bloquer totalement les flux potentiels d’importation en Chine parce que les pays de l’OCDE hors EU-27 pourront toujours exporter vers la Chine[3].
  • Les recycleurs européens peinent à être rentables, face à des standards industriels sans solutions adaptée (voir tableau ci-dessous : par exemple, 95 % de récupération du cobalt, du cuivre, du plomb et du nickel, ainsi que 80 % pour le lithium à compter du 1er janvier 2031).

Résultat : un flux significatif de Black Mass européenne pourrait alimenter les installations chinoises. Une circularité technique existe, mais sans ancrage local ni réelle valeur ajoutée territoriale.

Indicateurs de l’écosystème de recyclage1er jalon2ème jalon
Efficacité (globale) de recyclageAu plus tard au 31 décembre 2025 : recyclage de 65 % en poids moyen des batteries au lithiumAu plus tard au 31 décembre 2030 : recyclage de 70 % en poids moyen des batteries au lithium
Taux de récupération des matériauxÀ compter du 1er janvier 2027, 90 % pour le cobalt, le cuivre, le plomb et le nickel, et 50 % pour le lithiumAu 1er janvier 2031, 95 % pour le cobalt, le cuivre, le plomb et le nickel, et 80 % pour le lithium
Taux de réintégration des matériaux dans la construction des batteriesÀ partir du 18 août 2031, une batterie devra contenir au moins 16 % de cobalt, 6 % de lithium, 6 % de nickel et 85 % de plomb issus du processus de recyclageÀ partir du 18 août 2036, une batterie devra contenir au moins 26 % de cobalt, 12 % de lithium, 15 % de nickel et 85 % de plomb issus du processus de recyclage

Principaux indicateurs jalonnant la montée en puissance de l’écosystème du recyclage. (Source : analyse du règlement sur les batteries par les auteurs)

Des freins identifiés à la réindustrialisation locale

Une des sources probables de « Black Powder », dont la Chine vient d’autoriser l’importation, étant les rebuts de production, les acteurs européens du recyclage vont se trouver dans une compétition de prix déséquilibrée pour accéder à ces derniers alors que ce sont les premiers produits recyclables sur le marché (les batteries usagées à recycler seront disponibles en masse bien plus tard).

En l’absence d’une filière européenne capable de traiter la black mass, les producteurs européens de celle-ci auront tendance à chercher à exporter pour trouver des débouchés commerciaux ce qui ne favorisera pas l’émergence des acteurs européens.

Le recyclage local pourrait pourtant devenir un moteur industriel majeur : emploi local qualifié, montée en compétences des territoires, empreinte carbone réduite, résilience des approvisionnements.

Cette situation pénalise les acteurs européens de la circularité et entretient une dépendance stratégique vis-à-vis de filières étrangères bien plus avancées.

Repenser les critères de performance circulaire

Pour que l’économie circulaire réponde totalement à tous ses objectifs, le recyclage local doit-être soutenu, reconnu et piloté. La localisation doit faire partie des évaluations de son impact. Deux rapports récents, un de l’IMT[4] et l’autre du GERPISA[5] expliquent l’importance de préserver un contenu local pour l’industrie automobile européenne. Ce dernier propose des solutions de mise en application telle qu’une localisation de 50% de la chaîne de valeur de la batterie d’ici 2030.

Cela implique :

  • Une évolution du cadre réglementaire, au niveau européen ou national, pour intégrer la dimension territoriale ;
  • Des mécanismes de soutien transitoires (investissement, formation, logistique, …) ;
  •  La prise en compte de nouveaux indicateurs de performance industrielle : empreinte carbone totale ou le respect d’un Eco score sur le cycle de vie de la batterie, emplois crées, contribution à l’autonomie stratégique.

Une articulation encore insuffisante entre écologie et industrie

Ce paradoxe n’est pas un simple oubli, Il reflète un retard structurel dans l’articulation entre transition écologique et stratégie industrielle.

Une fois encore, la Commission européenne fixe des objectifs avant d’avoir défini les conditions de leur mise en œuvre : une ambition affichée, mais irréalisable sans cadre industriel et réglementaire adapté.

Clarifier cette équation est essentiel.

L’industrie de la batterie joue ici un rôle révélateur, mais ce constat vaut aussi pour d’autres filières : plasturgie, textile, électronique… Toutes sont confrontées au même dilemme : investir dans une circularité locale incertaine, ou s’adapter à un cadre mondial plus rentable mais moins vertueux.

Il ne s’agit plus seulement de « faire du recyclage », mais de construire une économie circulaire réellement structurée, visible, et créatrice de valeur économique, environnementale et sociale aux niveaux français et européen.

Qu’est-ce que la Black Mass ?

Lorsqu’une batterie, soit accidentée, soit en fin de vie avérée (plus d’utilisation possible de type automobile ou autres) est recyclée, la première étape consiste en son démantèlement en modules (ou en cellules suivant son architecture). Ceux-ci sont ensuite broyés et traités jusqu’à ce que l’on obtienne de la Black Mass (ainsi que du cuivre et de l’aluminium), qui contient des métaux critiques tels que le lithium, le nickel et le cobalt (opérations de pré traitement). La Black Mass est ensuite traitée par des processus successifs de raffinage jusqu’à obtenir des matériaux actifs de cathode ce qui permet de fermer la boucle (opérations de post traitement). Nota : Les rebuts de production secs, i.e., issus du processus de production de la cathode, et mouillés – issus du processus de production des cellules, sont aussi une source de Black Mass.


[1] « Annonce relative à la réglementation de la gestion des importations de matières premières recyclées pour les batteries lithium-ion et les matières premières recyclées pour l’acier ». Annonce n° 14 de 2025 traduite avec Deep-L ® – source

[2] Règlement (UE) 2023/1542 du 12 Juillet 2023 – source

[3] Cette interdiction fait suite au classement des déchets de batterie en déchets dangereux. – source

[4] Hautsch, M, Hermine JP (2025). « Plan for the emergence, competitiveness, and resilience of an EU battery ecosystem — Leveraging combined use of local content policies and of new public aids schemes” – Institut Mobilités en Transition. – source

[5] Pardi, T, Alochet, M, Jullien, B et Kuyo, A (2025). « Made in Europe. Local content policy for the European automotive industry.” – Actes du Gerpisa, Volume 44 – source


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