L’innovation en santé : rupture ou continuité ? À la recherche d’une 3ème voie

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A l’heure où le mot rupture est devenu un marqueur d’innovation, le secteur de la santé résiste. Par nécessité. Par conscience aussi. Faut-il vraiment rompre pour innover ? Ou bien existe-t-il une voie médiane, plus subtile, plus résiliente ; une troisième voie, qui conjuguerait rigueur scientifique, agilité technologique et transformation systémique ?

En 2025, le système de santé français entre dans une ère de recomposition : tension humaine, course technologique, exigences sociétales, pressions économiques, et toujours, l’impératif de qualité et d’accès pour tous. Dans ce contexte, Olivier Nataf, Global Head of Oncology de Sanofi, nous invite à reconsidérer notre définition de l’innovation et son périmètre d’application.

Désacraliser la rupture, redonner du temps à l’innovation

Dans l’imaginaire collectif, innover signifie souvent rompre avec l’existant. Repartir de zéro. Cette vision issue des mondes du digital, de la fintech ou des mobilités, ne s’applique pas à la santé. Elle est même dangereusement réductrice. L’innovation n’est pas « un tour de magie », insiste Olivier Nataf. Elle repose sur des fondations solides, parfois invisibles, souvent longues à construire.

Le parcours des vaccins à ARN le démontre : vingt ans de recherche ont précédé leur mise sur le marché. L’innovation véritable suit trois dimensions indissociables :

  • Une différenciation scientifique tangible ;
  • Une adoption effective et équitable ;
  • Une transformation lente, incrémentale, systémique.
L’illusion de la rupture instantanée

Derrière chaque « disruption » réputée fulgurante se cache une réalité plus complexe.

Faisons un pas de côté et observons d’autres secteurs d’activité :

  • Uber ? Sept ans de contournement réglementaire.
  • Netflix ? Une décennie pour basculer du DVD au streaming.

La santé ne peut s’accommoder de ces raccourcis. On n’interrompt pas un protocole cliniquement éprouvé du jour au lendemain. L’engagement des médecins, la prudence scientifique, la responsabilité éthique rendent ces ruptures brutales peu compatibles avec la réalité du soin.

L’adoption, cette variable négligée

Le cas des médicaments biologiques pour l’asthme sévère est éloquent : efficaces, remboursés, mais toujours sous-utilisés. Trois patients éligibles sur quatre n’y accèdent pas. Le frein ? Ni la science, ni le financement, mais un ensemble de rigidités systémiques : pratiques ancrées, protocoles rigides, organisation figée.

Même constat pour les thérapies cellulaires personnalisées. Leurs promesses sont réelles, mais leur adoption est freinée par la complexité logistique, les coûts , le manque d’infrastructures hospitalières et les incertitudes réglementaires. L’innovation existe, mais ne pénètre pas. Parce que le temps d’intégration est ignoré, voire méprisé. Or ce temps n’est pas un retard, il est une condition.

Le diagnostic, chantier stratégique et oublié

Le véritable basculement ne viendra peut-être pas du médicament, mais du diagnostic. IA, objets connectés, biomarqueurs dans le sang et autres fluides corporels, techniques non-invasives, analyses en vie réelle : tout est là pour détecter plus tôt, mieux suivre et personnaliser les soins.

Mais le diagnostic reste le parent du pauvre : non valorisé, peu remboursé, encore périphérique dans les modèles. « Le vrai levier d’efficience, c’est de prévenir ou de guérir en traitant à temps. Soigner, c’est déjà trop tard ».

Diagnostiquer plus tôt pour mieux traiter est aussi un changement culturel : être prêt à connaître son risque, à adapter ses comportements, à entrer dans une médecine de prévention active. C’est un virage à opérer dans la conscience collective avec éthique, bien plus que dans la technologie. « L’innovation n’est pas qu’un enjeu scientifique. Elle est aussi culturelle : accepter le dépistage, changer ses habitudes, croire en la prévention. Sans cette mue dans la société, même la meilleure technologie restera à l’écart du soin. »

Créer de la valeur, pas seulement du produit

« Tant que l’on continue à évaluer un traitement innovant uniquement sur le prix d’une boîte et non sur l’hospitalisation évitée, la productivité retrouvée ou la vie prolongée, on dévalorise la vraie nature de l’innovation. »

Ce qui conviendrait de façon plus appropriée ? Des modèles qui :

  • Récompensent la prévention ;
  • Reconnaissent l’industrie comme acteur de santé et non simple fournisseur ;
  • Articulent court, moyen et long terme dans la gouvernance du soin ;
  • Valorisent les parcours de soins et non les actes isolés.
Changer les rôles, construire la confiance

Olivier Nataf le rappelle avec force : « l’innovation en santé n’a pas besoin d’un dirigeant-accélérateur, mais d’un architecte du changement. Cela suppose de restaurer la confiance entre les acteurs : industriels, académiques, régulateurs, médecins, patients. »

Cela suppose aussi de casser les caricatures du type « l’académique est vertueux, la biotech sympa et le big pharma méchant » : non, l’industrie n’est pas un ogre cynique ; elle est souvent le principal financeur de l’innovation, celle qui transforme l’intelligence académique en solutions accessibles, qui donne de l’échelle à l’inspiration biotech et qui sait toujours amener elle-même des projets de la paillasse au chevet des patients. Encore faut-il que cette contribution soit reconnue, et intégrée au dialogue collectif sur la santé.

Et si préserver, c’était déjà transformer ?

Innover en santé, ce n’est pas tout déconstruire.  C’est améliorer ce qui doit l’être, sans renier ce qui fonctionne. C’est accepter la durée, la preuve, la résistance. C’est refuser les oppositions stériles : entre public et privé, entre soin et technologie, entre prudence et audace.

Innover en santé, c’est construire un avenir durable. Un avenir où le progrès ne se mesure pas à la vitesse de son apparition, mais à la profondeur de son adoption pour avoir un impact réel sur la population.

Et si, finalement, innover, ce n’était pas casser les codes, mais réconcilier les mondes ? Celui de la preuve et celui du progrès. Celui du soin et celui du sens. Celui du patient, du médecin… et du système tout entier.


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Tom Rouffio 
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